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L’âgisme : phénomène des sociétés modernes

  • Photo du rédacteur: Julie Pauthier
    Julie Pauthier
  • 6 sept. 2020
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 9 sept. 2020

Avant de débuter la lecture de cet article, je vous propose de vous poser ces quelques questions et d’y répondre le plus sincèrement possible : Que représente pour vous le vieillissement ? Vous imaginez-vous en bonne santé ? Heureux, épanoui ? Définissez-vous le vieillissement comme étant une bonne ou une mauvaise chose ?


Au cours des dernières décennies, le nombre de personnes âgées n’a cessé de croître et cela s’explique notamment par l’augmentation de l’espérance de vie. Paradoxalement, nous observons au sein de nos sociétés modernes, un phénomène flagrant concernant la population du troisième âge : l’âgisme.


Pour rappel, le passage de la catégorie " adulte " à la catégorie « senior » s’effectue dès 60 ans (OMS), donc souvent avant le passage à la retraite en France.


Qu’est-ce que l’âgisme ?


Peu connu, ce terme s'apparente pourtant à ce qu’est le sexisme aux discriminations de sexe, ou le racisme aux discriminations ethniques. L’âgisme est un phénomène très répandu au sein de nombreuses sociétés et passe très souvent inaperçu, devenant presque une norme établie.

"L’âgisme reflète le profond malaise des jeunes et des adultes d’âge mûr face à la vieillesse" (Bizzini, 2007).

Cela comprend toutes les discriminations, ségrégations et mépris fondés sur l’âge. Ce phénomène est également qualifié comme étant un type de violence exercé par la société. Combiné au jeunisme - qui lui s’édifie sur le culte de la jeunesse, la peur de perdre sa beauté, l’efficacité, la rapidité d’esprit, la force physique - l’âgisme prend toute son ampleur au fil de l’évolution des sociétés consuméristes. De nombreuses études ont d’ailleurs démontrées que l’âge constitue le facteur de risque le plus important de discrimination loin devant le sexe, l’origine ethnique ou la religion. À l’unanimité, la vieillesse semble faire peur. Reflet de la fin de vie et donc de la mort, vieillir questionne, rebute et entraîne le rejet d’un grand nombre d’entre-nous.


Il y a quelques années, le " vieux " représentait le savoir, la sagesse, la transmission, le partage actif de valeurs ou encore d’expériences. Aujourd’hui, il représente la maladie, le ralentissement, la folie, l’impuissance et l’inutilité. Selon ces conceptions, la personne âgée serait également un individu jouissant de pensions optimales. Considéré comme un parasite, le senior vivrait grassement sur sa retraite, relevant du travail des autres et en l’occurrence des plus jeune, des "actifs ".

Les conséquences de l’âgisme


Selon l’OMS,"l’âgisme peut avoir un effet auto producteur, en développant chez les personnes âgées des stéréotypes d’isolement social, d’affaiblissement physique et de déclin cognitif, du manque d’activité physique et de fardeau économique”. Diverses études allant en ce sens, ont démontré qu’avoir une vision négative du vieillissement pouvait entraîner un vieillissement réellement moins positif (plus de soucis cardiovasculaires, comportement à risque plus développé, déclin mnésique plus marqué, etc.) que ceux ayant une vision optimiste du vieillissement.


Comme dans toute discrimination, nous observons également de l’âgisme " ordinaire ". Ce sont tous les comportements du quotidien - souvent issus de l’inconscient collectif - basés sur les stéréotypes liés à l’âge. Parmi ceux-ci, se trouvent par exemple, les comportements   " d’over accommodation ". Se voulant aidants et positifs, ceux-ci ont pourtant tendance à infantiliser, isoler et stigmatiser les personnes âgées. Il y a par exemple, le fait de parler plus lentement, plus fort, d’utiliser des phrases simples et courtes. Si ces conduites sont adaptées lors de la présence de pathologies cognitives avérées, elles sont totalement inappropriées face à un individu en bonne santé globale.


Certaines études ont également démontré un réel manque de prise en charge de la maladie chez la personne âgée, sans que l’âge soit finalement un argument médical. En oncologie par exemple, une étude a démontré qu’aux USA les patients âgés étaient sous-traités comparativement aux patients plus jeunes et ce, sans réelles contre-indications liées à l’âge. Sous-estimé, cette population est vraisemblablement très souvent négligée par le corps médical mais aussi par la société de manière générale. Lorsque nous abordons le sujet de la personne âgée ayant une pathologie neuro-évolutive comme la maladie d’Alzheimer, nous constatons que l’individu concerné se retrouve dans un contexte de stigmatisation non seulement lié à son âge, mais également à sa maladie. La personne malade est alors associée à des qualifications négatives telles que " débiles " ou " sénile ". Déshumanisées, elles sont d’autant plus exclues de la société et cela va également impacter le proche aidant tant sur sa santé mentale que physique.


Marginalisés, les seniors sont également souvent exclus de nombreux événements et d’activités de la vie en société. En plus des dégradations de santé souvent constatées avec l’avancée en âge, les seniors souffrent pour beaucoup de solitude, d’isolement, d’abandon, de dépression, d’anxiété chronique ou de sentiments d’inutilité. De plus, traduisant une grande détresse psychique, le taux de suicide chez les séniors est de 28% ce qui représente près d’un tiers des suicides en France.


En outre, l’âgisme entraîne de nombreuses maltraitances. Parmi les différents types d’abus que l’on constate, il y a : les abus liés à une omission intentionnelle ou non de soins, les négligences, les abus physiques, le non-respect de l’intimité, les abus sexuels et viols, mais aussi les abus sociaux, financiers et matériel, ainsi que liés aux conditions de logement.


L’impact culturel


Il est intéressant de noter que le " vieillissement " est tout d’abord un concept social et culturel. Le terme " gérontologie " n’apparaît d’ailleurs que dans les années 1950. L. Nhimrimana, écrira même dans l’un de ses articles que " la vieillesse n’existe pas ! Ce qui existe, c’est le traitement particulier qu’une culture réserve à ses personnes âgées, en sachant que les repères de l’âge varient eux-mêmes en fonction des époques et des cultures ". (2003).

Au sein de nos sociétés modernes, nous nous inquiétons plus des performances naturelles des personnes âgées, de leur biologie par exemple, que de leurs performances affectives et sociales. Nous aspirons également à allonger notre espérance de vie, à vaincre la mort. Cependant, tant que l’ancien ne sera pas valorisé, vivre plus longtemps n’aura pas plus de sens.

La vision du vieillissement diffère en fonction de chaque culture et de chaque société. Plus l’accent est marqué sur le rejet, la peur et la promotion de la jeunesse et plus l’ancien sera susceptible de perdre sa place dans la société, au détriment de sa santé mentale.


En somme, tout comme le sexisme ou le racisme, l’âgisme est donc un fléau. Se questionner sur le sujet semble primordial alors que nos sociétés tendent à devenir de plus en plus vieillissantes. Il semble important de trouver des solutions à ce phénomène, tant pour nous apaiser quant à cette période de la vie - par laquelle nous passerons inévitablement (sans événements tragiques venant entraver le processus de vieillissement) - que pour apaiser nos aînés en détresse. Il est de notre devoir de soulever le voile sur la peur du vieillissement et d’enfin redonner du sens à la vie de chacun et ce, jusqu’au bout du chemin.



Pour terminer, voici un conte burundais, issu de l’article de L. Nshimrimana (2003) :


« Un vieil homme, n’ayant plus la force de cultiver sa terre, avait trouvé refuge chez son fils. Mais ce dernier le maltraitait, l’accusant de consommer son maïs sans rien lui rapporter en retour, de n’être qu’une bouche inutile. Non seulement il lui donnait très peu à manger, mais il le servait dans l’écuelle de son chien. Et quand le vieillard avait fini de manger, son fils lançait avec mépris l’écuelle dans un coin, avec le pied, sans la nettoyer. Ayant remarqué cela, son propre fils – le petit fils du vieillard – se mit à s’occuper avec beaucoup de soins de l’écuelle. Chaque fois que son grand-père avait fini de manger ses quelques graines de maïs, le petit garçon prenait l’écuelle, la nettoyait avec soins, et la rangeait dans un coin sûr.

Son père, intrigué, finit par lui demander : « Mon fils, pourquoi t’occuper de cette écuelle ? Ton grand-père est un fardeau pour nous, il ne veut pas mourir, il ne mérite pas que tu lui consacres autant d’attention ».

Et son fils répondit :

– « Ce n’est pas pour mon grand-père que je fais cela, mais bien pour toi ».

– « Pour moi ? »

– « Absolument, répondit le fils. J’aurai besoin de cette écuelle, quand tu seras vieux ! »

À partir de ce jour, le fils traita son vieux père avec le plus grand respect ! ».

Si ce n’est pas par amour que les changements s’opéreront… peut être que cela pourrait au moins être par intérêt ?




Bibliographies

Levy BR. Stereotype embodiment : a psychosocial approach to aging. Curr Dir Psychol Sci 2009 ; 18 : 332-6


Bizzini, L. (2007). L'âgisme: Une forme de discrimination qui porte préjudice aux personnes âgées et prépare le terrain de la négligence et de la violence. Gérontologie et société, vol. 30 / 123(4), 263-278. doi:10.3917/gs.123.0263.


Nshimrimana, L. (2003). Vieillesse et culture: Du bon usage des personnes âgées. Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, no 31(2), 46-60


Rosay-Notz, H. (2004). Prise en charge des personnes âgées dans les sociétés traditionnelles. Études sur la mort, no 126


Site de l'OMS : https://www.who.int/fr

 
 
 

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